Chapitre I – Où j’apprends très vite à grandir sans parents.
Je fais partie de ces gosses nés « sous X ». Ce qui veut dire qu’un beau jour, X, ma mère, que par définition je ne connais pas, s’est faite engrosser par un inconnu ou bien tout simplement un mec qui refusait d’assumer la venue d’un enfant dans sa petite vie égoïste. Ma mère, pour une raison obscure, n’a pas avorté, ou bien elle s’est tout simplement rendue compte bien trop tard qu’elle portait un mini-elle dans son ventre. Donc elle a mené sa grossesse à terme et m’a laissée en plan dans un hôpital. Bon, dit comme ça, forcément, ça a l’air vraiment nul d’être née sous X. En fait on s’y fait. C’est sympa aussi de grandir entourée de plein d’autres enfants dénués de famille.
J’ai grandi dans un orphelinat de Chicago. Ce n’était pas un orphelinat glauque comme l’image qu’on se fait, en général, des orphelinats. Celui-là était sympa, on s’occupait bien de nous, les autres enfants étaient gentils. Je me suis fait plein d’amis dans cet orphelinats. C’est là que j’ai hérité du surnom « Birdie » dont j’ai fait mon deuxième prénom. Birdie, parce que je voletais de partout, je courais tout le temps, comme un oiseau. Et je chantais beaucoup, aussi. Je chantais tout le temps. J’entendais les éducatrices dire d’un ton las « Tais-toi, Birdie, s’il te plaît. » au moins vingt fois par jour, ça me faisait rire, et je ne me taisais par pour autant. J’y suis restée jusqu’à mes treize ans, ensuite une famille m’a accueillie.
Les Harlow étaient la famille d’accueil par excellence. Leur maison était une sorte d’hôtel où se succédaient, se croisaient, se rencontraient plein d’adolescents orphelins comme moi. Certains ne restaient que quelques mois, certains étaient là depuis dix ans. C’était un peu étrange. On en voyait qui arrivaient un matin, et le lendemain, d’autres partaient. C’était une sorte d’orphelinat miniature, en quelque sorte. Les Harlow n’accueillaient pas les plus faciles des adolescents de Chicago, par contre. A côté de certains d’entre eux, malgré mon comportement un peu étrange, j’étais un ange. Lorsque nous arrivions au collège-lycée où nous étions tous scolarisés, les gens s’écartaient presque sur notre passage, c’était drôle. Il y avait des drogués – à l’époque j’était totalement clean -, des adolescents qui souffraient de troubles du comportement divers, d’autres qui restaient dans leur chambre tout le temps. Il y avait aussi ceux qui mangeaient beaucoup trop, et ceux qui ne mangeaient pas. Enfin, celles. L’une d’entre elles s’appelait Elizabeth, mais on l’appelait toujours Lizzie.

Chapitre II – Où une certaine Lizzie a un impact considérable sur ma vie.Lizzie. Elle ne mangeait rien mais elle riait tout le temps. Elle était parfaite, elle avait l’air heureuse, le seul grain de sable dans les rouages, c’était cette maladie. Je suis devenue amie avec Lizzie dès mon arrivée. Elle, elle était chez les Harlow depuis deux ans déjà. Deux ans pendant lesquels ils avaient essayé par tous les moyens de la faire manger. Sa capacité à se contenter d’une tomate par jour m’impressionnait. Moi-même je ne mangeais pas beaucoup, parce que la nourriture était quelque chose de secondaire pour moi et que j’oubliais de manger. Mais elle, elle m’épatait. Je m’inquiétais pour elle, un peu. Mais elle avait l’air d’aller tellement bien.
Lizzie avait cette philosophie de vie incroyable qui consistait à profiter de chaque seconde qui passait. C’est simple : elle faisait ce qu’elle voulait sans penser aux conséquences. Elle se détruisait la santé parce que, jour après jour, elle n’avait aucune envie de manger quoi que ce soit, et comme elle suivait ses envies, elle ne mangeait rien. Sa philosophie m’amusait. Nous sommes devenues très amies. On partageait la même chambre, on discutait pendant des heures, on faisait le mur ensemble pour aller boire de la vodka bon marché dans le terrain vague à côté de la maison, toutes les deux. Lizzie, c’était mon âme sœur. Jamais je ne m’étais entendue aussi bien avec quelqu’un. A un tel point que le jour où elle m’a embrassée ça m’a paru être une évidence, je me suis demandée pourquoi je n’y avais pas pensé plus tôt : on était faites pour être ensemble. On avait quatorze ans, on était amoureuses, on était heureuses. Par confort, on préférait se cacher un peu. Les Harlow étaient très ouverts mais techniquement, ils nous avaient adoptées toutes les deux, on avait un peu peur de leur réaction. Alors notre relation s’épanouissait sur fond de sorties nocturnes, de nuits discrètes dans notre chambre, de baisers au fond du jardin. C’était un peu pesant, mais c’était pas grave, on s’en fichait, à vrai dire.
Et puis tout d’un coup elle a disparu. Je me souviens de cette journée dans les moindres détails. Lizzie rentrait de son cours de guitare, un lundi soir, et elle n’est pas revenue à la maison. On a reçu un appel. Elle était à l’hôpital, elle venait de se faire percuter par une voiture. Le temps qu’on arrive, qu’on aille à son chevet – seulement les parents Harlow et moi, parce que j’avais insisté -, le bip bip des battements de son cœur s’est arrêté.
Il m’a fallu un petit moment pour me remettre de ça. Un petit moment et beaucoup de drogues diverses. Et surtout, j’en ai tiré une leçon importante : la vie peut s’arrêter à tout moment. C’est pour ça que je fais tout ça. C’est pour ça que je fais tout ce dont j’ai envie, sans penser aux conséquences. La plupart des gens trouvent ça stupide, moi je trouve ça logique. Je ne veux rien regretter quand je mourrai. Je ne veux pas me dire « pourquoi est-ce que je n’ai pas fait ça ? » Alors je fait tout ce dont j’ai envie. Je fonce. J’avais envie d’arrêter mes études parce que les études, c’est pas pour moi : je l’ai fait. J’avais envie de prendre mon indépendance et de vivre ma vie, toute seule à Chicago : je l’ai fait, je me suis émancipée à dix-huit ans et je suis partie vivre toute seule. J’avais envie de tenter des choses nouvelles : je me suis créé un double de strip-teaseuse. Lorsque j’ai besoin d’argent je me débrouille pour le gagner. Lorsque j’ai envie d’une dose je la prends. Lorsque j’ai envie de baiser, je baise. Lorsque je suis amoureuse, je fais tout pour être avec la personne en question. C’est comme ça que je vis. Comme ça, je ne mourrai pas pleine de regrets.

Chapitre III – Où Birdie apparaît.
Je suis partie de chez les Harlow à dix-huit ans et je me suis trouvé un job dans un magasin de disques et un appartement dans la foulée. J’ai rapidement construit mon cercle d’amis, principalement grâce à mes collègues. J'ai eu pas mal d'aventures. Des histoires d'un soir ou bien des jolies relations qui duraient plus longtemps. Avec des garçons ou des filles, d'ailleurs.
Je ne gagnais pas assez d’argent, donc j’ai décidé de me trouver un autre métier, pour la nuit. C’est comme ça que j’ai atteri à la Pomme Rouge. J’ai passé une petite audition. Je dansais déjà depuis un moment, et je me suis improvisée strip-teaseuse. Ce métier a l’air glauque comme ça, mais moi, il me plaît vraiment. Avec cette deuxième paie je peux subvenir à mes besoins en logement, en fringues, en drogues diverses et, accessoirement, en nourriture.
Le soir où j'ai dansé pour la première fois, le soir où je tentais ma chance pour être engagée dans ce club, il s'est passé un truc un peu étrange. Je m'explique: j'ai toujours été une fille plutôt enjouée, presque enfantine, du moins c'est ce que tout le monde me dit. J'ai l'air douce, innocente, mignonne. Bien sûr, cela change lorsqu'il s'agit de séduire. Je ne me transforme pas complètement mais forcément, j'ajoute une touche de flirt. Eh bien lorsque je suis montée sur la scène de la Pomme Rouge pour la première fois, c'est ça que j'ai ressenti. C'était comme si je m'apprêtais à séduire une personne qui me plaisait, mais en dix fois plus fort, au moins. Je me suis transformée en une sorte de créature sexy et séductrice. Je ne me reconnaissais pas, mais c'était une sensation plaisante malgré tout. Et cette métamorphose m'a permis de décrocher le job. Depuis, tous les soirs où je travaille, je change complètement de personnalité. Qu'il s'agisse de danser simplement ou bien d'aller plus loin avec un client - ou une cliente -, je passe sans problème en mode "Birdie". Oui, Birdie, c'est mon nom de scène, mon nom nocturne, appelez ça comme vous voulez.
Je sais, vous devez vous dire que je suis folle. "Mon Dieu, cette fille a deux personnalités." Oui, bon, je ne suis pas la personne la plus saine d'esprit que vous rencontrerez, sans doute. Mais ce fonctionnement me convient. Je m'épanouis aussi bien en Candice qu'en Birdie, de manières différentes. Je ne sais pas combien de temps cela va durer. Mais encore une fois, le futur, je m'en fiche un peu. On verra.
Carpe diem.
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