Pour les raisons qui font de moi ce que je suis, je t’écris cette lettre pour que tu saches l’enfer que j’ai subi quand tu m’as abandonnée. J'espère que tu va regretter de m'avoir livré à moi-même, mais saches que plus jamais tu n'auras de place dans ma vie.

Cela fait maintenant plus de vingt-trois ans que tu es disparu de ma vie, que tu m’as abandonné à mon triste sort qui n’aurait pas dû être le mien. Pourquoi mettre un enfant au monde si ce n’est que pour le renier et le laisser de côté? Je n’ai jamais compris le pourquoi de tes actes, mais peut-être est-ce mieux ainsi. Pourtant, je ne peux m’empêcher de penser que j’aurais préféré ne pas vivre que de mener la vie que j’ai vécue pendant de longues années. Maintenant je m'en sors, mais j'aurais surement pu faire mieux si tu avais été là pour moi. Je ne me souviens même pas des traits de ton visage, je ne me souviens même pas si un jour tu as éprouvé de l'amour pour moi. Je me souviens juste du grand vide que tu as créé tout au long de mon enfance, de toutes les questions que je me suis posées et les doutes au fond de mon esprit. Ne jamais te connaître a surement été la chose la plus difficile pour moi, parce que tout au long de ma jeunesse je ne pouvais que me demander pourquoi tu était partis sans me donner de raison valable. Père me disait que c’est parce que tu ne m’aimais pas assez, mais j’aurais voulu te laisser ta chance et entendre tes raisons. Maintenant, je ne veux plus te laisser cette chance de prendre une place dans ma vie. Peu importe les raisons qui t’ont poussé à me quitter, je pense que je ne pourrai jamais te pardonner ton départ, ni ce qui est arrivé ensuite. Tu connaissais père, tu devais savoir ce qui allait se passer. C’est surement pour cette raison que tu es partie. Trop de questions pour une seule personne, même encore aujourd’hui je ne sais rien de la vérité et elle me hante. Commençons par le début maman, après tu pourras comprendre pour je suis ce que je suis. C'est-à-dire, plus qu’un être sans âme, un corps sans vie, une fille sans mère.

Mon enfance. Autant dire que sans un modèle féminin, une petite fille ne sait que faire et ne sait pas comment se comporter. Père n’était surement pas le meilleur exemple à suivre, mais c’est tout ce que j’avais. Il ne m’a pas abandonné et il était là pour moi, même un peu trop. J’étais une enfant, loin de comprendre ce qu’il voulait de moi, loin de comprendre tout ce qu’il avait pu vivre pendant son enfance et tous les maux qui le rongeaient. Ce que je sais, c’est que très jeune j’ai appris à me débrouiller moi-même et je jouais à la femme de ménage. J'étais souvent confrontée à moi-même et il était souvent très absent. Père tentait de faire entrer de l’argent, mais je pense qu’il était beaucoup plus apte à la dépenser qu’à la gagner. Je me souviens très bien du nombre de fois où il est entré complètement ivre alors que j’étais dans l’âge où je devais jouer aux poupées plutôt que de me faire des sandwiches pour nourrir mon ventre trop vide. J’ai souvent entendu père pleurer ton départ, mais avec le temps, sa peine s’est transformée en rage. Avant il te pleurait, mais plus tard il te maudissait de l’avoir laissé seul avec une petite fillette comme moi. J’avais beaucoup de difficulté à me concentrer dans mes cours, bien que la matière était très facile. Avec le temps, père est devenu acerbe. Il me donnait des ordres plutôt que me réconforter, il levait la main sur moi plutôt que de me prendre dans ses bras. Je pense qu’il passait sa colère sur moi. Je l’entendais souvent me dire que je te ressemblais trop et qu’il n’aimait pas me voir, qu'il aurait préféré que tu partes avec moi. Je pense que j'aurais surement préféré aussi. Je ne pouvais pas sortir voir mes amis, ni écouter tranquillement la télévision. Autant dire que j’étais en constante punition. Plus les jours défilaient, alors que tu menais ta vie je ne sais où, plus je pouvais sentir la rage de père devenir de plus en plus grande et faire gronder son âme. Je ne devais le contredire, ni me montrer désagréable parce qu’il se mettait dans une colère noire. Je me souviens, comme si c’était hier, de la première fois où il a levé la main sur moi. La douleur contre mon visage alors que je tombais promptement contre le sol. Ça été le début de la déchéance, le début de la fin, le chaos.

Je pense que c’est à partir de ce moment que notre vie à basculer, que père s’est montré de plus en plus violent envers moi. J’avais à peine huit ans que je recevais des coups, je devais me cacher au monde et panser mes blessures comme une grande personne. C’est ce que j’ai vécu sans toi et ce n’était surement pas la pire chose à vivre, je ne me doutais pas que le pire était à venir. Étant la seule personne dans ma vie, je tentais de lui pardonner et je me disais que je méritais les coups qu’il me portait. Si je me montrais gentille avec lui et que j’obéissais, il allait cesser de me battre et nous pourrions être heureux. C’est de ces illusions que je me berçais chaque fois que je me retrouvais dans le creux de mon lit à pleurnicher. Malgré les espoirs que je tentais de m’insuffler, rien ne changea. Rien sauf moi, mon corps et mon comportement. Je devenais une adolescente, je sentais les changements s’opérer dans mon corps et père ne manquait pas de me le faire comprendre. Je n’avais pas de mère pour m’expliquer ce qui était en train de m’arriver. Au lycée, j’étais souvent seule et je tentais de cacher les multiples bleus qui couvraient ma peau dorée. J’avais peu d’amis, parce que je ne parlais pas et que j’étais souvent dans mes songes en train de m’imaginer une vie bien loin de la mienne. C’est quand j’eus dix-sept ans que père commençait à changer de comportement et se montrer plus gentil et doux envers moi. Je pensais que mes prières et mes souhaits étaient enfin exaucés, mais j’étais bien loin de la dure réalité de ma vie. Je me souviens parfaitement de cette nuit. Déjà que père venait souvent me voir, me couvrant de compliments en me disant que je te ressemblais, que j’étais belle, bien plus que les autres filles de mon âge. Ce moment reste gravé dans mon esprit et je compte bien t’en faire part pour que tu comprennes les raisons de mon comportement et de ma lettre.

Vendredi. Minuit. J’étais couchée dans mon lit en train de fixer le plafond bien trop rose de ma chambre qui était encore celle d’une gamine. Je pensais aux seuls amis que j’avais pu me faire à l’école, à quel point je me sentais bien avec eux et je pouvais enfin rire. Je me redécouvrais parmi eux. Je pensais à cela alors que j’entendais le plancher craquer sous les pas de mon père, la poignée se tourner et je tournais le visage pour observer mon père qui marchait un peu trop de travers. Il se posait sur le bord de mon lit. Je me souviens de l’odeur de whisky qui se dégageait de ses vêtements. Il glissait sa main contre ma joue en me disant que tout allait se régler et que je devais me montrer coopérative avec lui. Sa main glissait lentement de ma joue pour se perdre sur mon épaule et dévier vers ma poitrine. Mon souffle était coupé, j’étais tétanisée alors que je sentais ses mains parcourir mon corps encore vierge. Ce ne fut pas long avant qu’il ne retire la couverture de contre moi et qu’il se glisse sur mon corps. J’étais incapable de bouger, j’avais peur et je ne savais pas quoi faire. Je sentais ses lèvres parcourir mon corps, laissant l’odeur de l’alcool sur ma peau et ensuite, ce fut la chute. Je sentais son corps se fondre dans le miens, une douleur qui percutait mes sens et qui engourdissait mon esprit. La sensation était surement la plus horrible que j'ai pu ressentir de ma vie. Il semblait y prendre un plaisir fou, posant sa main sur ma bouche pour m'empêcher de crier. Les larmes coulaient sur mes joues alors que ses râles de plaisirs se faisaient entendre, j’avais mal, je souffrais, j’avais envie de mourir à cet instant précis.

C’est arrivé maman. Parce que tu es parti et cet enfer a duré plus d’un an jusqu’à ce que je quitte ma vie. C’est de ma nouvelle vie que je t’écris cette lettre, que je te raconte mon enfance, ma vie, celle où tu n’étais pas pour entendre mes cris et mes pleurs. Cette vie que je mène à Chicago depuis cinq ans. J’ai finis par quitter cette vie, je n’en pouvais plus de me laisser souiller par père. J’ai perdu toute confiance en moi, je n’avais que pour confiance ma beauté et mon charme envers les hommes et je comptais bien en user. Je voulais quitter la Bulgarie qui ne faisait que faire naître des souvenirs atroces au fond de mon âme. C’est sans dire un mot à qui que ce soit qui je quitte la ville avec le peu de choses que j’avais. Je n’avais aucune idée de ce que j’allais faire, aucune idée de ce que je voulais. J’avais juste cette envie de quitter ma vie, ma maison et mon père. Je faisais du pouce, je voyageais avec des inconnus pour me rendre dans la ville de Chicago. En fait, je n’avais pas prévu de prendre une pause ici, mais j’ai décidé de m’y installer pour une raison qui m’était totalement inconnue. C’est ici que je voulais refaire ma vie et c’était bien plus difficile que je ne le pensais. Je plongeais dans un univers chaotique, dans celui de la drogue. Mon passé trop douloureux étant bien trop présent dans ma vie, j’avais besoin d’oublier et c’était un parfait moyen pour le faire. C’est impossible de te dire toutes les atrocitées que j’ai fait pour pouvoir avoir ma dose quotidienne, mais cela devint une grande dépendance pour moi, mon échappatoire. J’ai passé trois ans à tenter de gagner de l’argent, à tenter de trouver un emploi et j’en trouvais un dans un petit café, mais ça ne me rapportait pas grand-chose, surtout que la drogue avait des coûts faramineux. C’est un soir, alors que je laissais mon corps suivre le rythme de la musique, que je fis la rencontre de Heath. Pour une fois, je n’avais pas pris de drogue et la danse me permettait de me défouler. J’adorais danser et il faut croire que ma façon provocante de le faire lui a plu. C’est après quelques mots échangés qu’il me dit de venir le voir dans son club, qu’il avait un métier à me proposer. Loin de me douter qu’il voulait me proposer de danser dans une boîte de streap-tease, je me rendais à l’adresse et en entrant je me rendais compte de l’endroit et de la nature de l'emploi. J’avais envie de partir, mais il me remarqua avant que je ne le fasse. Je ne me sentais pas prête à faire cela maman, mais il faut croire que c’est ce que je connaissais de mieux. Surtout quand mon salaire me fut dévoilé, je ne pus dire autre chose que oui.

Je suis ici depuis deux ans, c’est ma vie, celle qui m’a été enseignée. C'est mon travail et je le fais à merveille. Séduire, montrer son corps et j’y prends plaisir. Il faut dire qu’ici, je fais des rencontres surprenantes. Comme Stew. Un homme à qui je tiens, que je ne voudrais pas voir quitter ma vie, mais aussi Shadow, qui m’a été d’une grande aide. Shadow. Je pense que tu n'es pas la bonne personne pour parler de cela, ni de tout ce qui touche de près ou de loin à ma vie actuelle. Tu n'as jamais été là pour parler des hommes dont je pouvais tomber amoureuse, je ne sais pas pourquoi tu le serais plus maintenant. Les sentiments ne sont certes pas une chose qui m'ont été enseignés, les ressentir est pour moi inconnu et je ne suis pas prête à m'engager avec qui que ce soit. Je ne pense pas être une femme de qui il faut tomber amoureuse. Il y a pourtant des choses qu'on ne peut nier. Shadow et Stew sont surement les deux hommes à qui je tiens le plus. Ils sont tellement différent l'un de l'autre. Stew il est tout et rien en même temps. Mon amis, mon amant, mon frère et celui en qui j'ai confiance. Shadow c'est autre chose, il m'a aidé à me sortir du pétrin et il me fait sentir autre chose qu'une femme avec un beau coup. Enfin, ce n'est pas important pour toi, je n'ai pas à te parler de cela. Je veux que tu te concentre sur le mal que tu m'as fait, si je suis heureuse pendant le moindre instant, ce n'est pas grâce à toi. J'aimerais tellement pouvoir te parler d'eux, te parler de ceux qui sont importants pour moi et qui me respectent. Je ne le ferai pourtant pas. Ma vie est complexe mais elle tourne autour de point bien précis. L'alcool, la drogue, le sexe et les hommes. Contrairement à ce que l'on aurait pu penser, mon adolescence ne m'a pas bloqué, elle m'a plutôt fait plonger dans ce monde que je construis pour oublier mon mal. Je me rend pourtant compte que malgré mon vie, il y a des personnes à qui je tiens et qui compte pour moi.

Si tu ressens un jour le moindre remord de m'avoir abandonné comme un vulgaire objet, fais-moi signe. Le pardon n'est pas une option pour moi, mais peut-être que je changerai d'idée. Ne sait-ont jamais.


C’est ma vie maman. J’espère que cette lettre va te faire réaliser que tu n’aurais pas dû quitter ma vie et j’espère que tu vas verser quelques larmes en la lisant.

De ta fille, Arizona.